Le sac médecine, légende amérindienne et témoignage de vie
Le chant du tambour
En espérant qu'il vous donnera envie de lire l’histoire d’Achachak au complet
L’échange
Achachak s’arrêta
de jouer, le vieil homme se tourna vers lui.
« Ici il n’y a
plus de rivaux, seulement des frères unis par les sons de la terre,
des corps anéantis, mais des âmes libres. Continue à jouer aigle
courageux, ta médecine est bonne et forte. Tu es le seul parmi nous
à avoir un tambour, tu vas accompagner nos prières, tu vas nous
aider à garder le lien avec la Mère terre. Que contient ton
sac-médecine ? »
Surpris par la
question, Achachak toucha machinalement son sac comme s’il en
découvrait pour la première fois la signification.
« Une plume de geai
bleu, je l’y ai mise avant d’avoir eu ma vision, comme mon père
me l’avait demandé, répondit le jeune homme d’un air coupable.
– Tu dois y mettre
des herbes, foin d’odeur pour le nord, tabac pour l’est, cèdre
pour le sud et sauge pour l’ouest, ne le savais-tu pas ?
– Il en contient
déjà, s’impatienta le garçon.
– Tu devras y
mettre quatre fois quatre choses. Lors de ton arrestation, les Blancs
l’ont-ils touché ?
– Ils me l’ont
d’abord arraché, puis ils me l’ont remis avec mes affaires. En
revanche ils ont gardé mes armes.
– Alors
donne-le-moi, il est devenu impur, personne d’autre que toi ne peut
le toucher. Je te donne le mien, il contient les herbes dont je t’ai
parlé. Il contient d’autres choses, dont une griffe d’ours qui
te donnera le courage d’avancer. Tu me donneras le tien. Bien que
je sois un vieillard qui n’ait plus vraiment besoin d’être
protégé, la plume de geai m’aidera à dissiper mes sombres
pensées, à disperser mon brouillard de tristesse et de mélancolie.
J’ai bien sûr touché mon sac médecine, cependant tu n’as rien
à craindre d’un vieillard qui ne veut que ton bien. »
L’homme procéda à
l’échange. Il retira cérémonieusement la bourse en cuir de
l’Algonquin, puis il la remplaça par la sienne, usée et brunie
par le temps. En voyant le Malécite l’enfiler autour du cou,
Achachak fut ému par la confiance que lui faisait l’ancien et le
respect dont il était l’objet. Toutefois
une blessure se rouvrit et le fit horriblement souffrir.
« Il n’y a pas
que le sac qui soit impur », parvint-il à dire au travers les
sanglots lui arrachant la poitrine.
Le vieillard hocha
gravement la tête.
« Ce n’est pas
toi qui es impur, tu as été abusé par des hommes malades,
incapables de s’aimer, incapables de respect. »
Fermant les yeux,
l’homme-médecine se mit à chanter. Il transmit à son protégé
des paroles de pardon. Achachak laissa pénétrer les mots de
guérison. Bien que circulant de son corps souillé jusqu’à son
cœur blessé, les vibrations peinèrent à pénétrer la carapace
qu’il s’était forgée.
S’éternisant tant
la plaie était profonde, le chant opéra peu à peu une
transformation, de la honte à la réconciliation. La fleur jadis
fanée, recouverte d’abjection, piétinée par l’avilissement, s’épanouissait à nouveau. Comme elle, l’enfant sali par la
bassesse des mâles, tourmenté par la faute, s’ouvrit à l’estime
de lui et s’offrit à la vie. Son visage fut inondé de larmes, en
sortant elles lavèrent son corps de sa culpabilité. Achachak
plongea son regard dans l’antre du paquebot, une noirceur qui ne
permettait pas de voir une silhouette à moins d’un mètre. Combien
de temps était-il resté ainsi, à
pleurer jusqu’à ce qu’il trouvât la sérénité ? Il se tourna
vers le vieil homme restait éveillé à ses côtés.
« Me diras-tu ton
nom ? interrogea-t-il.
– Abooksigun. Dors
maintenant, il est tard et il nous faut prendre des forces pour
affronter un lendemain incertain. »
Les machines
s’arrêtèrent brusquement. Une autre ville, un autre chargement ?
Un grincement métallique suivi d’un grand coup réveilla les
prisonniers. Le bruit effrayant d’un rapide sur la roche, d’une
cascade se fracassant sur les flots, acheva de les alerter. Les
choses n’en restèrent pas là. Les eaux semblèrent
quitter le lit du fleuve, le bateau tomba brutalement dans le néant
pour se retrouver en équilibre sur sa quille. Le navire ne chavira
pas, quel était ce mystère ? Un gémissement d’une porte rouillée
et les moteurs repartirent à nouveau. S’échappant du piège où
il était tombé, le paquebot poursuivit sa course comme s’il
voguait désormais sur un étang. Un bruissement de soulagement
parcourut les détenus. Ils ne pouvaient comprendre qu’ils avaient traversé là
une écluse et qu’ils voyageaient à présent sur le canal de La
Chine.
« Encore une
invention des Blancs, je pensais que plus rien ne pouvait me
surprendre de leur part, eh bien je m’étais trompé ! »,
s’exclama Abooksigun.
Fatigué d’une
courte nuit, ne trouvant le sommeil qu’au petit matin, Achachak
s’étira. Il observa son compagnon, assis en tailleur, perdu dans
de lointaines pensées.
« Me raconteras-tu
la prophétie de la femme Bison Blanc ? »
Comme son oncle
conteur de légende, foudroyant du regard celui qui interrompait le
fil de son histoire par des questions déplacées, le vieil homme le
dévisagea en plissant des yeux.
« Tu es obstiné,
pourtant je vais te la conter. Écoute attentivement. »
Il marqua une pause.
« Lors d’une
chasse, une très belle fille apparut à deux jeunes Lakotas affamés,
de la tribu des sans arcs. Elle était vêtue de blanc. L’un des
chasseurs reconnu en elle un être sacré, il baissa les yeux. Son
compagnon, quant à lui, ne put s’empêcher d’approcher la jeune
fille, malgré les avertissements de son frère. Percevant
l’intention amoureuse du garçon, elle l’invita à venir se
coucher contre elle. Il ne se fit pas prier. À peine eut-il
entrepris de faire l’amour que, soudain, un nuage de poussière
s’éleva sur la terre. Quand il se dissipa il ne restait du galant
qu’un tas d’os. La femme s’approcha alors du chasseur qui lui
avait manifesté du respect. Elle lui expliqua que son frère avait
été puni pour son manque d’humilité. Elle l’exhorta à aller
retrouver les siens pour leur annoncer sa venue, elle avait un
message de la part de l’esprit du bison, elle leur enseignerait les
sept façons de prier. Le clan devait au préalable dresser un tipi,
l’ouverture orientée vers l’ouest, un sol remplit de sauge,
trois bâtons, deux dressés, un couché, un crâne de bison exposé
et un carré de terre tassée. Elle vint comme elle l’avait dit, au
lever du soleil, une pipe sacrée dans ses mains. Assise devant un
auditoire attentif, elle enseigna aux Lakotas comment prier. Elle
leva d’abord la pipe à l’ouest, elle fit une prière aux
oiseaux, puis elle leva la pipe au nord, elle fit une prière au
vent, au cercle de la vie, aux quatre directions. Elle leva la pipe à
l’est, la prière fut pour le soleil levant. Elle leva la pipe au
sud, elle fit une prière au monde des esprits. Enfin elle leva la
pipe au ciel et pria pour le peuple du bison. Elle leur transmit les
sept rituels sacrés, je ne peux pas te les dire. Je sais qu’ils
sont proches de ceux de ton peuple et du mien. Elle recommanda aux
hommes d’être bienveillants envers ceux qui sont sans défense,
elle exhorta les femmes à demeurer bienveillantes envers tout ce qui
vit. Elle parla enfin aux enfants, afin qu’ils veillent à
transmettre la voie de la pipe aux prochaines générations. Elle se
releva et se transforma en bison noir. Elle se coucha et devint un
bison jaune. En marchant à nouveau elle se métamorphosa en bison
rouge, en se roulant au sol elle apparut au clan en bison blanc. La
prophétie fut ainsi transmise au peuple Lakota. Tu comprends,
Achachak, la signification des
couleurs, ce sont les quatre directions, elles correspondent
également aux différents peuples qui habitent l’univers. Alors
maintenant tu sais que la femme bison était issue de la nation des
Blancs. Cette prophétie annonce que les peuples de couleurs
différentes doivent s’unir et prier ensemble pour rester
bienveillants envers la création. Elle n’est pas sans rappeler, à
ce que j’en ai compris, celle de ta Nation. »
Achachak fut
impressionné par les connaissances de son aîné. Au risque de lui
manquer de respect, il devait maintenant l’interroger.
« Si désormais je
porte ton sac-médecine, alors je dois connaître ta vie, celle qui
t’a conduit jusqu’ici. »
Le sachant incapable
d’impertinence, plutôt timoré à l’idée de s’imposer dans le
monde des grands, le Malécite choisit de satisfaire la curiosité de
son compagnon. Il toucha le sac en cuir qu’il avait échangé avec
lui. Que connaissait-il de son l’histoire ? Pas grand-chose en
fait.
Avait-il besoin de
le savoir ?
« Par quoi veux-tu
que je commence ?
– Que tu me dises
pourquoi tu es habillé comme les Blancs ? »
Abooksigun fut
désarçonné par la question du jeune Algonquin, il ne s’était
jamais à ce point senti différent des autres Autochtones. Il devait
bien admettre la légitimité de la question de l’adolescent, le
seul ici à porter les jambières, le pagne, la tunique et les
mocassins pour soulager les pieds
trop longtemps
maintenus dans leurs bottes, ignorant les casquettes, pantalons et
vestes distribués dans les réserves pour les Natifs du Canada.
« Les Innus que tu
as rencontrés ne portaient-ils pas au moins un des vêtements des
Blancs, comme ceux avec qui du voyage à présent ? se défendit le
vieil homme.
– Pas tous les
habits en même temps, on dirait que tu vis parmi eux, que tu es l’un
d’eux.
– Tu vois juste,
seulement c’est un peu plus compli- qué. Quand j’étais bien
plus jeune, moins que toi, je devais avoir vingt fois treize lunes,
aujourd’hui j’en ai trois fois plus, j’ai quitté ma réserve.
J’ai voyagé vers le nord-ouest. Je n’avais aucune mission,
seulement le besoin de m’échapper du village où on
nous avait forcés à rester, parqués loin de nos territoires
ancestraux, là-haut, où les eaux de l’océan se déversent dans
le fleuve aux grandes eaux. J’étais pourtant un homme-médecine,
je rêvais tous le temps et ma médecine était le chant. Les miens
n’ont pas compris pourquoi je les abandonnais, qu’importe,
j’avais faim de liberté ! Lors d’une de mes nombreuses visions,
j’ai vu l’ours blanc ! Il me parlait distinctement, des paroles
qui m’ont inspiré un chant. Je suis arrivé à la grande baie
blanche, là où vivent les Inuits. J’ai vécu longtemps parmi eux,
ils m’ont appris à chasser l’ours blanc. Un jour, ils m’ont
laissé seul affronter l’animal. J’ai pisté la bête durant
quatre jours, sans manger et sans boire, en me dirigeant toujours
vers l’ouest, avec comme guide les traces dans la neige et les
paroles de mon chant. Je me suis très vite rendu compte que ce
n’était pas moi qui pistais l’animal, mais lui qui me
poursuivait ! J’ai eu très peur, je ne pouvais plus avancer,
j’étais traqué, j’étais devenu sa proie. Je me suis mis à
l’abri derrière une roche et j’ai attendu une journée. Comme
rien n’arrivait, j’ai commencé à chanter. Après tout, l’esprit
de l’ours avait bien inspiré mon
chant et m’avait conduit jusqu’à lui, alors peut-être
pouvait-il m’épargner. Sans doute ma médecine était trop forte,
mon chant trop efficace, car il attira l’animal jusqu’à moi. Il
me fit face, énorme, monstrueux, effrayant ! Il était debout, les
deux pattes battant l’air, comme s’il chassait des mouches, plus
jaunâtre que la glace. Je n’avais qu’une lance et un couteau
pour combattre la bête ; le courage m’a manqué. J’étais
tétanisé, je pensais que c’était la fin. J’ai alors fermé les
yeux, prié et attendu la mort sans faire le moindre mouvement.
J’avais vingt fois
douze lunes, il ne
me restait plus qu’à remercier le Grand Esprit de m’avoir permis
de vivre si longtemps. »
Le vieil homme rit.
« Et alors ?
demanda l’Algonquin captivé.
– Je n’osais
ouvrir les yeux et j’ai poursuivi mon chant, longtemps je crois,
car j’avais perdu la notion du temps. Quand j’ai enfin regardé
devant moi, l’ours était toujours là, imperturbable, inébranlable
dans sa ténacité. Alors je l’ai regardé fixement, je l’ai
défié en chantant. À ma grande surprise, l’ours
est retombé sur ses pattes, il s’est retourné et s’est mis à
marcher vers l’ouest. Je ne savais plus quoi faire. Si je revenais
au village inuit, ils se moqueraient de moi. Si je poursuivais
l’ours, je risquais de me perdre et mourir de froid. Je regardais
longtemps l’animal, un point écru dans la banquise blanche. De
temps en tant, il regardait en arrière, comme s’il m’invitait à
le suivre. J’ai réfléchi. Ma vision, qui avait inspiré mon
chant, parlait d’un ours qui conduisait l’homme égaré. J’ai
compris alors ce que je devais faire. J’ai suivi l’animal avec la
certitude qu’il me conduirait sur la route qui m’était tracée.
Le chemin fut long, nous gardions chacun une distance respectueuse,
je pouvais même faire des pauses, manger les provisions que les
Inuits m’avaient laissées – ils devaient alors penser que
j’étais mort gelé – principalement de la viande de phoque.
Je pouvais
m’hydrater avec de la glace et même me coucher enveloppé dans ma
lourde peau. Nous avons marché quatre autres jours. À la nuit
tombante, l’ours avait disparu. À sa place, deux cabanes en bois
se dressaient devant moi. Tel était le message de l’ours blanc. Je
n’ai pas hésité, même si les habitations étaient
vraisemblablement celles de Blancs. Il faut dire qu’il faisait très
froid, un vent glacial s’était levé. Je suis entré sans frapper
et, quelle ne fût pas ma surprise, la pièce était comble de
fourrures, jusqu’au plafond, et des fournitures que je ne
connaissais pas. Trois hommes blancs se tenaient là, je ne m’étais
pas trompé. Ils n’avaient pas l’air surpris par ma présence,
ils semblaient même blasés. Ils m’ont demandé par signes si
j’avais des peaux à échanger, j’ai réussi à leur faire
comprendre que je demandais l’hospitalité. Ils m’ont conduit
dans l’autre maison. Là, il y avait
des membres d’autres Nations, je devinai qu’ils étaient Cris.
Après avoir bu une infusion noire et amère que je ne connaissais
pas, et mangé du poisson séché, épuisé,
je me suis très vite endormi. Le lendemain, un des hommes blancs m’a
invité à le suivre pour l’aider à décharger un traîneau de
fourrures apportées par des Inuits. Je suis resté longtemps à
travailler pour la compagnie de la baie d’Hudson, quarante fois
treize lunes ! J’ai de nombreux amis chez les Blancs et je parle
couramment l’anglais, le français et les différents dialectes des
Nations du Canada. Voilà pourquoi je suis habillé comme les Blancs.
»
Achachak fut
impressionné par cette incroyable histoire, celle d’un
homme-médecine qui abandonnait les siens pour un chant et qui
choisissait le monde des Blancs, les autres qu’il devait approcher
lui aussi. Ne risquait-il, à l’instar de son ami, de devenir comme
eux ? Le vieillard poursuivit :
« Tu dois te
demander pourquoi je suis resté si longtemps parmi eux, pourquoi
j’ai abandonné les coutumes de mon peuple et embrassé la
civilisation des Blancs. Que te dire, si ce n’est que j’ai
répondu à l’appel de l’esprit de l’ours. Désormais je côtoie
les Nations de cette terre comme jamais je l’aurais fait si je
n’avais pas quitté ma réserve. En fait, je n’ai pas à me
justifier ! J’ai simplement chanté, j’ai
accepté ce que la vie me donnait, heureux et satisfait du bonheur
qu’elle m’apportait.
– Alors pourquoi
es-tu ici, enfermé avec nous ?
– Je ne sais pas.
Je suis tombé brutalement dans la nuit cruelle, une obscurité
affligeante où l’espoir est calciné, les réponses partent en
fumée, la compréhension reste à jamais un secret. Libre et léger,
sans me préoccuper d’un éventuel danger, j’ai parcouru l’est,
le sud, l’ouest, le nord de ce pays, me voilà maintenant enfermé,
menacé et terrorisé. J’ai travaillé pour une compagnie qui a le
monopole de la traite depuis l’Ontario jusqu’à la baie James, du
Québec à la baie d’Hudson. Nos peuples ont depuis longtemps
collaboré avec elle et sa consœur française du Nord-Ouest. Bien
qu’ils en aient profité, ils en ont aussi souffert, jusqu’à se
battre pour elle, de se diviser. Leurs canoës chargés de fourrures,
les Nations et les Métis ont emprunté les lacs et les rivières
jusqu’à la côte atlantique où les attendaient des gros bateaux
comme celui-ci, des navires en partance pour l’Europe, le pays des
Blancs. Notre civilisation s’est tournée vers ce commerce
avantageux et destructeur, va savoir pourquoi. Les deux compagnies
ennemies ont fini par fusionner. Après avoir décimé nos peuples
par la guerre et la maladie, elles se sont entendues pour vider notre
pays, désorganiser l’économie des Nations basée sur les
alliances et les échanges. Et nous, nous avons consacré notre temps
et notre énergie à répondre à leur faim inextinguible de
fourrures, tout ça pour quelques objets, au point de ne plus
rien avoir à manger, de voir disparaître les animaux des forêts et
des prairies. Une activité commerciale à grande échelle aux
conséquences désastreuses pour notre survie ! Et moi, le Malécite
du sud-ouest, de la belle rivière que les Blancs nomment le fleuve
Saint-Jean, j’y ai largement contribué, insouciant, inconscient
durant de longues années. Le poste de traite où j’étais d’abord
rattaché, celui où l’ours m’avait conduit, était un lieu de
rassemblement des diverses Nations qui noyaient leur mauvaise
conscience dans l’alcool au point de se perdre dans la violence et
la lâcheté. Que pouvais-je faire pour les aider ? Leur chanter des
paroles inspirées, des mots de consolation afin qu’ils reviennent
à leurs traditions. Cela a marché quelques fois, certains ont
abandonné l’eau de feu pour rester lucide et intègre, pour
ramener la paix chez eux. Ce que je n’avais pas réalisé en
revanche, c’est que je contribuais à la colonisation des
territoires de l’ouest et à l’assimilation
des nôtres ! Quand j’ai su pour les pensionnats pour enfants,
lieux de renoncement à leur langue, tradition et religion, j’ai
demandé des explications. La plupart de mes amis ne savaient pas, ou
feignaient de ne pas connaître cette effroyable réalité qui me
prit mes filles et mes fils. Trois ont survécu, ils me tournent le
dos pour que je ne les vois pas pleurer, que je ne perçoive pas la
honte qui les ronge jour et nuit, ils me cachent même leurs petits.
Le quatrième y a laissé la vie. Mon épouse, une Cri, ne s’en est
pas remise, elle est décédée peu de temps après. J’ai élevé
seul ma famille et je ne me suis jamais remarié.
– Tu as travaillé
pour les Blancs, tu parles même leur langue, tu dois bien savoir
pourquoi ils t’ont arrêté et où ils nous emmènent ! s’indigna
Achachak, bouleversé par ces incroyables révélations.
– J’ai posé la
question, mais ils ne m’ont pas répondu, se défendit Abooksigun.
Le comble de l’histoire, c’est la compagnie pour laquelle j’ai
si longtemps travaillé qui m’a capturé. Je m’étais rendu par
bateau à Gespeg, dans le golfe du fleuve aux grandes eaux. On
m’avait demandé d’ache- miner des peaux en Gaspésie, parce que
durant toutes ces années, je m’étais familiarisé avec
différentes langues du Canada. Je devais servir d’interprète
entre des Micmacs et des négociants anglais. Un autre navire
m’attendait, celui où nous nous sommes rencontrés. »
Impressionné par
cet homme droit et confiant qui, pourtant, avait vécu une véritable
trahison, Achachak garda le silence. Il réfléchit. Si le chant
était la médecine d’Abooksigun, le conduisant jusqu’à son
destin, assisté par l’esprit de l’ours blanc, ne lui avait-il
pas transmis son don en lui offrant son sac ? Où donc l’esprit de
l’aigle le conduirait-il, lui, Achachak, dont il portait le nom ?
https://litteratutemltipleunerichesse.wordpress.com/2018/10/22/le-chant-du-tambour-jean-luc-bremond-2017/
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