Cette fois c'est en Asie
La voie de l'errance
Bonne lecture
Le message
Au petit matin, un
moine vint réveiller les voyageurs. Ils se levèrent discrètement
pour ne pas réveiller leurs compagnons de chambrée. L'homme leur
remit à chacun une étole blanche. Le lama voulait les rencontrer.
Les quatre garçons se concertèrent du regard, étonnés par la
requête du supérieur. L'abbé se recueillait dans une très grande
salle de prière pourvue de colonnes garnies de tapis. Une multitude
de statuettes dominait la pièce décorée de rouleaux peints, elles
veillaient les religieux silencieux. Les visiteurs durent attendre
que cesse la méditation avant de connaître la raison de leur
convocation. Une demi-heure, un temps interminable pour des jeunes
impatients, plus habitués à galoper dans le désert ou vadrouiller
sur les routes, que de rester assis en lotus ! Ils s'apaisèrent en
contemplant les couleurs jaunes et pourpre des méditants, la terre
safran pour la stabilité, le feu rouge de l'éloquence.
Les élèves, entre
quinze et vingt ans, sortirent un par un. Le lama fit signe aux
voyageurs de venir le rejoindre près de la statue d'un enfant, le
fondateur de l'école gelugpa. Après avoir salué le vieil homme,
mains jointes sur le cœur et tête inclinée, les garçons lui
offrirent leur écharpe en soie. Il les
prit puis les
entraîna dans ses appartements privés. Sitôt les invités
installés, un thé au beurre de yack et de la farine d'orge leur fut
servi. Ils mangèrent en silence, installés sur des coussins
disposés pêle-mêle sur une natte tressée. Le Rinpoché les
regarda former maladroitement une pâte avec leurs doigts, ne sachant
s'ils devaient aussi boire le thé. Il sourit.
— Puis-je
connaître la raison de votre venue parmi nous ?
Naranbaatar, mis en
confiance du fait que l'homme parlât sa langue, se lança.
— Nous nous
rendons en Mongolie en passant par le Tibet.
L'hôte le fixa
longuement, comme s'il cherchait à se représenter l'incroyable
détour entrepris par les imprudents.
— J'imagine que
vous vous dirigez vers le nord, au Xinjiang ?
— Non, nous
quittons la Chine.
— Traverser
l'Himalaya ! s'écria le vieillard. Et après ?
— Nous ne savons
pas.
Le maître ferma les
yeux, longtemps, assez pour que les enfants pensent que la
conversation était terminée. Ils se préparèrent à se lever.
— Restez ! leur
ordonna le lama. Je n'ai pas fini.
Ils se rassirent,
impressionnés.
— Ce n'est pas le
but qui importe pour vous, mais le voyage, poursuivit l'enseignant
d'une voix plus douce, en capturant le regard de ses auditeurs. Une
initiation où chacun peut trouver sa voie, un chemin de
transformation.
Un long silence. Les
garçons méditèrent les paroles.
— Des moines vous
conduiront à Xining, de là vous prendrez le train pour Lhassa,
enchaîna abruptement le lama. Les policiers ne prêteront pas
attention aux écoliers en fugue, sur le point d'émigrer, cachés
parmi des religieux.
Ils se crispèrent.
Il avait donc compris ! L'homme les observa avec attention, le visage
radouci, les gestes bienveillants.
— Vous vivrez
chacun votre voyage à votre façon. Toutefois, vous vous exposez à
de grands dangers, vous ne pourrez compter que sur l'entraide des
gens rencontrés et, surtout, sur votre amitié. Demeurez ensemble,
vous aurez besoin de vous conforter.
Les yeux perçants
s'orientèrent vers Kushi.
— Je m'adresse à
toi en particulier qui, je le vois bien, est appelé à la
spiritualité ; sois patient. Quand il sera temps, tu accepteras avec
bonheur la séparation. Le joyau qui s'est révélé à toi
aujourd'hui, sera ta force pour poursuivre ton voyage jusqu'au bout ;
il sera la source de ta joie. Je discerne en toi l'amour pour tes
camarades.
Les prunelles ébène
du méditant scrutèrent l'assemblée.
— Ne t'attache pas
au regret, ni même à ta tristesse, destina-t-il à Sukbataar, là
est ta souffrance, accueille plutôt la fleur qui s'épanouira à
toi, t'ouvrira ses pétales dorés et t'invitera à y entrer.
Ses pupilles
brillantes transpercèrent Naranbaatar.
— Quant à toi,
prends garde que ton courage ne t'amène à l'intransigeance et à
l'imprudence. Reste humble et laisse-toi gagner par la compassion, tu
pourras ainsi accéder à la vraie
paix.
Le garçon se
renfrogna. Pourquoi tant d'exigence à son égard, alors qu'aux
autres il leur manifestait tendresse et indulgence ?
Le lama enchaîna.
— Et toi, l'aîné,
le guide, pourtant si jeune, jusqu'où iras-tu avec eux ? Là où ta
destinée se présentera à toi. À Lhassa, au-delà ? je suis sûr
que tu la trouveras. Quoi qu'il en soit, occupe-toi de ces petits et
ne les confie qu'à des personnes en qui tu mettras toute ta
confiance. Tu as là une grande responsabilité. Approche-toi pour me
saluer.
L'adolescent se
releva et appuya son front contre celui du lama. Les cadets en firent
autant, secoués par les paroles du Rinpoché.
Les Mongols
passèrent devant des petites maisons jaunes, des appartements privés
surmontés de drapeaux de prières rubis et jade, aménagés par les
familles des moines. Ils rejoignirent leur dortoir pour y faire leurs
bagages et attendre qu'on vînt les chercher. Sukbataar se laissa
lourdement tom-
ber sur sa
couchette.
— Qu'est-ce que
votre père et le lama ont voulu nous dire ? demanda-t-il à
l'adresse de Ganzorig.
— Je ne comprends
pas toujours mon père, ses chants inspirés. Néanmoins, je suis
certain que notre hôte a reformulé sa vision dans un langage
différent. Bien que non religieux, je suis impressionné par la
concordance entre ces deux mondes spirituels : chamanique et
bouddhique. Cependant, ce qu'il a formulé sur moi m'embarrasse, car
je dois changer tous mes projets. Il a dû augurer que vous aurez
besoin de moi au Tibet et que j'ai vraisemblablement quelque chose à
y accomplir.
— Parce que vous
pensiez déjà nous quitter ? Interrogea avec inquiétude
Naranbaatar. Votre père vous avez pourtant ordonné de nous escorter
jusqu'au Tibet.
— Vous deviez vous
y rendre en train, je ne voyais plus l'intérêt de vous accompagner.
Nous avons un problème, le prix du billet, huit cent dix yuans
chacun, sans compter mon
retour ; est-ce
qu'il vous restera suffisamment d'argent pour la suite ?
Les enfants se
regardèrent gênés ; jamais ils n'avaient encore eu l'occasion de
gérer un budget. L'adolescent secoua la tête d'exaspération.
— C'est bon, je
vais calculer pour vous. Je suis allé en pension jusqu'à l'année
passée et j'y ai survécu.
Les garçons
saisirent l'allusion de leur aîné. Sukbataar passa du coq à l'âne,
en s'adressant cette fois à Kushi.
— Est-ce que j'ai
bien entendu, tu veux devenir moine ?
— Je ne sais pas.
Je suis à l'aise ici. Mes parents sont très religieux, ils seraient
contents si je rentrais en monastère.
— Avec ton crâne
rasé, tu n'as plus qu'à enfiler une robe et tu feras un parfait
moine, répliqua son camarade, masquant par le sarcasme la crainte
qui l'oppressait.
Kushi ne réagit
pas, il se contenta de sourire.
— Il t'a également
dit d'être patient ; attends au moins d'avoir retrouvé tes parents,
intervint Naranbaatar, anxieux lui aussi à l'idée de perdre son
ami.
— Ne t'inquiète
pas, Naran, je ne vais pas vous abandonner. Et toi, Sukbataar, c'est
quoi la fleur dans laquelle tu vas plonger ?
— Une jolie fille,
répondit Naranbaatar à la place de son aîné.
— Arrête ! aboya
Sukbataar, piqué au vif. Le Lama a dit que tu étais orgueilleux et
imprudent ; il a vu que tu n'avais pas réfléchi dans quoi nous tu
nous as embarqués !
— Parce que tu
regrettes encore d'être venu ? lui rétorqua avec hargne son cadet.
— Arrêtez
maintenant ! coupa Ganzorig. Je croyais que nous nous étions mis
d'accord. Le Lama nous a demandé de rester unis dans l'amitié.
Sukbataar, je ne comprends pas pourquoi tu lui reproches de t'avoir
entraîné ici contre ton gré. Si tu veux, je te mets dans le train
jusqu'à Lanzhou ! Excuse-toi !
Le garçon de douze
ans se renfrogna. Comment son aîné pouvait-il lui faire la morale,
alors qu’il venait de leur exprimer sa contrariété de devoir
changer ses projets ? Toutefois, il n’était pas séant de
protester.
— Pardonne-moi,
Naran, jeta-t-il sans conviction.
— Ça va, mais
réfléchis avant de parler ! lui renvoya amèrement son compagnon.
Soudain la porte
s'ouvrit, un spectre sombre dans l'embrasure dorée apparut.
— Êtes-vous prêt
? leur demanda un des moines. Nous partons tout de suite pour la
ville. Vous avez un train en début d'après-midi, vous arriverez à
Lhassa demain en fin de matinée.
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