Un choix douloureux
Extrait du roman le choix de Firuze
Au moyen Âge en Orient
Détour
Aux
confins de l’Anatolie, entre deux chaînes de montagnes s’élevant
de la steppe semi-désertique et parsemée de quelques volcans, les
bassins renferment des bourgades concentrées à proximité des
sources d’eau ; des femmes, accueillies dans la maison de leur
maître, vivaient dans l’une d’elles en couvent ; un fait
exceptionnel en terre d’Islam. Leur mari et leurs bambins
habitaient à l’extérieur, dans des appartements loués dans le
village, ou bien dans les quelques dépendances mises à disposition.
Point de mosquée, ni de dôme sous lequel reposerait leur
inspiratrice Rabi’a, puisqu’elle était morte plusieurs siècles
auparavant, mais une pièce polyvalente servant à la fois pour les
prières et les repas. Les sœurs avaient mis à disposition une
grange pour l’instruction des gamins des membres et des villageois.
Qu’il soit élève, pèlerin, visiteur ou simple passant, le gîte
et le couvert y était gratuit.
L’une des Soufies, enceinte de quatre mois, choisit de s’isoler.
Le célibat n’étant pas imposé, la naissance signifierait
peut-être de prendre une autre voie. Son époux et ses deux gosses
l’attendaient ; un marmot de plus et son mari se révolterait !
Pour laisser ses tensions s’échapper avec le vol des grues qui, de
leurs longues ailes, barrent le soleil de printemps, elle chante sa
peine par un poème d’Abu Yazid Bistami.
Au
plus secret du cœur je t’évoque. Je suis anéanti, tu demeures,
mon nom est effacé ; effacés les vestiges de mon corps. Tu me
réclames, je réponds ; il n’y a que toi, c’est toi qui me
consoles par l’œil de l’imagination. Où que je me trouve tu es
là.
Proche
d’un champ d’oliviers planté dans un vallon, une faille
verdoyante dans un désert de pierre, un figuier offrait son ombre
aux bêtes et aux bergers ; en occurrence, un troupeau de brebis et
une fillette occupée à tresser ses nattes brunes. La gamine
suspendit son geste et se tassa vers son panier. Firuze occupa la
place vacante avec soulagement. Après avoir gratifié d’un
généreux sourire le pâtre, elle prit soin de son dos en le plaçant
contre le tronc. Un être poussait en sa chair. Deux jours plus tôt,
une vieille dame lui avait touché le ventre et annoncé que la
délivrance était dans cinq mois. La stupéfaction et la joie
entremêlées. Bien que ses seins eussent gonflé, son ventre enflé,
elle ne s’était pas attardée sur cette transformation ; son corps
s’embellissait en effet de vitalité et d’appétit. Depuis
l’oracle de la passante, l’inquiétude avait rattrapé en poids
et en âge le fœtus qui prospérait ; elle n’en avait pas encore
informé Alim. Face à la porte du couvent, tressée d’arbres
fruitiers, elle sentait que le moment était venu pour lui annoncer
sa paternité.
«
Promets-moi de ne pas te mettre en colère, se risqua-t-elle.
– Qu’as-tu
choisi ? s’affola Alim.
– D’être
mère et pour bientôt. »
En
contemplant la mine ahurie de son époux, Firuze s’esclaffa.
«
Tu as très bien compris. La naissance aura lieu dans ce couvent.
– En
es-tu sûre ? »
Un
hochement du menton. Alim enlaça Firuze. Ils lâchèrent pleurs et
passion front contre front. Aux côtés d’eux, la bergère les
lorgna avec discrétion. Étaient-ils des simples
passants, étrangers à en juger par leur langue, ou bien
comptaient-ils demeurer chez les sœurs ? Pour s’en assurer, elle
se leva et leur fit signe de la suivre.
Les
disciples spirituelles, puisque le maître était mort quatre siècles
auparavant, avaient choisi de se retirer dans une zone plutôt
désertique d’Anatolie. À l’instar de Rabi’a al-Adawiya, elles
s’habillaient simplement, renonçaient au mariage et se
consacraient à la contemplation. Leurs journées de dur labeur dans
les champs, aux troupeaux, aux récoltes et à la transformation des
produits végétaux ou animaux, étaient entrecoupées de prières
dansées. Réunies dans une pièce éclairée de mille rayons du
soleil, chantant en s’accompagnant du Oud et des percussions, elles
apparaissaient à Firuze exactement comme elle se l’était
imaginée. Jeunes ou vieilles, elles semblaient transfigurées, leur
visage sans âge illuminé de l’émerveillement des chérubins. Nul
cercle, plutôt un dispersement harmonieux. Une pause musicale avant
de reprendre leurs activités. Alim travaillait au jardinet
d’aromates et de fleurs. Firuze s’assit sur une marche menant à
la cuisine commune. Comme s’il lui était destiné, un des chants
pénétra ses sens et ses entrailles ; elle sentit le bébé suivre
les vibrations de l’instrument à corde sonnant à proximité.
Ô
ma joie, mon désir, ô mon appui,
Mon
compagnon, ma provision, ô mon but,
Tu
es l’esprit du cœur, Tu es mon espoir,
Tu
es mon confident, mon désir de Toi est mon viatique.
Sans
Toi, ô ma vie, ô ma confiance,
Je
ne me serais lancée dans l’immensité du pays.
Combien
de grâce s’est montrée,
Combien
de dons et de faveurs Tu as pour moi !
Désormais
ton amour est mon but et mon délice
Et
la splendeur de l’œil de mon cœur assoiffé.
Tant
que je vivrai, je ne m’éloignerai pas de Toi.
Tu
es le seul maître de l’obscurité de mon cœur.
Si
Tu trouves satisfaction en moi,
Alors,
ô désir du cœur, ma joie débordera !
En
s’abreuvant des paroles, scandées telle une poésie inspirée,
Firuze fut bouleversée. Elle revenait de l’immensité du pays, où
elle avait reçu la joie de la découverte et le bonheur de marcher
avec son amoureux. Ne pouvant s’unir à Alim, elle s’était
tournée vers l’ultime compagnon des vivants, en lui offrant un
mariage mystique. Elle ne se sentait pas prête pour transmettre
cette évidence à son compagnon.
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